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Apparition de Notre Dame à Gietrzwald. Et la Vierge de Czestochowa
(Pologne).

23/03/2020

Gietrzwald en Pologne, la Vierge apparaît et demande le Rosaire

Marie apparaît à Gietrzwald, en Pologne, en 1877

A Gietrzwald, la Vierge demande :

« Priez assidûment le Rosaire et n'ayez aucune crainte, car Je serai toujours avec vous. » Notre-Dame de Warmia

Gietrzwald : le 27 juin, jour anniversaire des apparitions

Gietrzwald se situe au nord de la Pologne, sur la route d'Olsztyn à Ostroda.

En 1568, elle est dédiée à la Nativité de la Vierge Marie. Alors que le royaume de Pologne a été divisé entre la Russie, la Prusse et l'Autriche, la sainte Vierge Marie apparaît à Gietrzwald en 1877.

Entre le 27 juin 1877 et le 16 septembre 1877, la Vierge apparaît à deux enfants, Justyna Szafrynska, et Barbara Samulowska. Le 27 juin, Justyna et sa mère viennent de quitter la paroisse quand elles entendent sonner la cloche de l'Angélus. Justyna commence à prier quand elle voit une lumière brillante dans un érable, puis une belle dame assise sur un trône et entourée d'anges. Le lendemain, Justyna revient avec son amie Barbara. Elles récitent le rosaire et la Vierge apparait aux deux enfants. Ces apparitions continuent tous les jours à

différents moments.

Marie insiste sur le rosaire et promet des fruits

Le 30 juin 1877, l'apparition dit, en polonais :

« Je désire que vous récitiez le rosaire tous les jours. »

Le 1er juillet, elle déclare :

« Je suis la très sainte Vierge Marie Immaculée. »

Beaucoup de gens se joignent aux deux fillettes durant les mois qui suivent.

Certains d'entre eux posent à la Sainte Vierge des questions sur les prêtres emprisonnés, les gens disparus, la liberté de la Pologne. D'autres lui demandent la guérison, surtout de l'alcoolisme. La réponse de la Vierge Marie fut toujours :

« Priez et récitez le rosaire,
les prêtres seront libérés,
les malades guériront,
la Pologne regagnera son indépendance grâces à vos prières. »

Notre Dame demande aux fidèles de construire sur le lieu de son apparition une chapelle avec la statue de l'Immaculée Conception. Elle promet de bénir une source à l'orée de la forêt et encourage les gens à boire de l'eau miraculeuse. Les Polonais partagés entre la Prusse (l'Allemagne), l'Autriche et la Russie retrouvèrent à Gietrzwald le sentiment d'être une nation unique. Les visionnaires furent persécutées par le gouvernement local. Un comité théologique et médical examina les filles et la teneur du message : rien d'anormal ne fut relevé.

Reconnaissance des apparitions de Gietrzwald

Le 10 septembre 1967, au nom du pape Paul VI, les cardinaux Wyszynski et Wojtyla, futur pape Jean Paul II, couronnent solennellement l'image sacrée.

Les apparitions de Gietrzwald ont été reconnues en 1977 par l'évêque du diocèse en accord avec le primat et avec Rome.

Méditations de saint Maximilien Kolbe

« Il est essentiel de devenir la propriété de l'Immaculée. Ne mets pas uniquement ta confiance en toi-même mais entièrement dans l'Immaculée, Médiatrice de toutes les grâces, alors tu vaincras toujours et sûrement.

Vierge Marie, Régnez sur chacun de nous et régnez non seulement durant notre pèlerinage terrestre, mais aussi pour les siècles des siècles, et pour l'éternité. Amen ! 

Mère et reine : la Vierge de Częstochowa

« Bien des événements montrent que la Pologne est un pays qui a été particulièrement choisi et a bénéficié de la protection de la Vierge de Cz?stochowa [...]. Dans ma famille, on la prie comme une mère pour nos affaires de famille, et comme la reine du peuple pour les affaires nationales ».[homme né en 1954]

2Les propos ci-dessus sont extraits d'une enquête ethnographique que j'ai réalisée entre 2000 et 2001, sur le culte de l'effigie de la Vierge de Czestochowa [1][1]Cet article est fondé sur des extraits de mon livre Obraz i.... En Pologne, aujourd'hui, c'est presque à chaque pas, dans des lieux privés comme publics, que l'on peut voir le portrait de la Vierge de Czestochowa, appelée aussi la Vierge de Jasna Góra [2][2]En polonais, les deux appellations de Vierge de Czestochowa et... : dans les maisons, à la campagne, et dans les appartements, à la ville. Le visage de la « Madone noire [3][3]L'expression Czarna Madonna, la « Vierge noire », est apparue... » apparaît sur les images pieuses glissées dans les agendas et les portefeuilles, à l'entrée des maisons, dans la rue, au-dessus du volant d'un chauffeur d'autobus, et même dans des cafés ou des boucheries... La présence de l'effigie de la Vierge est si évidente qu'on la remarque à peine. Si « l'évidence est une caractéristique de la perception courante de la réalité » [Robotycki, 1998 : 9], les associations symboliques et mythologiques autour de l'effigie sont alors une matrice communautaire forte dans la société polonaise contemporaine. Le portrait de Jasna Góra est inscrit dans la conscience collective des Polonais. Des significations, qui relèvent aussi bien des contextes religieux que des contextes nationaux et patriotiques, lui sont couramment attribuées.

La Vierge de Czestochowa sur l'autel du monastère de Jasna Góra, couverte de bijoux, couronnes précieuses et draperies, entourée d'ex-voto (Archives du monastère paulinien, Jasna Góra)

La Vierge de Czestochowa sur l'autel du monastère de Jasna Góra, couverte de bijoux, couronnes précieuses et draperies, entourée d'ex-voto (Archives du monastère paulinien, Jasna Góra)

L'effigie et le personnage

3Le tableau conservé et vénéré à Czestochowa, dans la chapelle du monastère paulinien de Jasna Góra, représente la Madone à l'Enfant en buste et rappelle le modèle iconographique de l'Hodigitria [4][4]Marie et l'enfant ne sont plus tournés l'un vers l'autre dans..., « celle qui montre le chemin », connu dans la religion orthodoxe. Les recherches des historiens et des historiens d'art n'ont pas apporté, pour le moment, de réponses définitives à toutes les questions sur les origines et l'histoire la plus ancienne de cette peinture. Plusieurs hypothèses ont été avancées concernant le lieu et la date de sa genèse. Les plus sérieuses évoquent une origine byzantine et ruthène, tchèque, hongroise, même, mais la mieux étayée rattache la naissance de la Vierge de Czestochowa aux terres d'Italie qui, au xiie et au xiiie siècles, furent très influencées par la peinture byzantine. Selon Anna Ró?ycka-Bryzek, l'effigie de Jasna Góra comporte trois strates chronologiques : une strate iconique, une strate italienne et une strate polonaise. Évoquant le problème compliqué que pose l'iconographie du tableau en raison des dommages, remaniements et ajouts qu'il a subis au cours de l'histoire [Ró?ycka-Bryzek, 1990 : 9], l'auteure montre combien les interprétations que les historiens d'art font du tableau lui-même sont ambiguës et même parfois contradictoires quand on les compare aux informations livrées par les toutes premières sources écrites concernant l'effigie.

4Pour l'anthropologue, cette divergence entre la légende et l'Histoire a une signification particulière parce qu'elle témoigne de l'influence des schémas culturels et révèle la manière dont l'effigie a été sacralisée dans la culture chrétienne traditionnelle. Dans les légendes, consignées dès le xve siècle, sur l'origine du tableau qui s'était retrouvé à la fin du xive siècle sur la Jasna Góra, la montagne lumineuse, l'origine miraculeuse de la peinture occupe une place très importante. Selon la tradition orale, elle serait l'œuvre de saint Luc qui l'aurait réalisée, comme on le raconte à propos de beaucoup d'autres portraits, du vivant de la Vierge ou après son assomption. Les légendes autour de saint Luc se sont répandues dans la culture chrétienne à la même époque que les histoires sur les acheiropoietos (« images non peintes de main d'homme ») ou les vera icon (« véritables images »). Sur le plan symbolique, à travers toutes ces légendes, se propage une histoire ayant une structure similaire qui raconte la genèse extraordinaire du tableau, couramment perçue comme l'un des déterminants essentiels de son caractère sacré [Tokarska-Bakir, 2000 : 281]. Cette interprétation valide le caractère miraculeux de l'effigie pour lui faire jouer le rôle d'une relique particulière, d'un objet investi du pouvoir et de la présence d'un personnage divin. Au cours de l'Histoire, les légendes sur l'origine du tableau de Jasna Góra ont subi une transformation intéressante et révélatrice qui en renforce les significations acheiropoiètes. La toute première légende consignée dit explicitement que l'effigie « a été peinte par saint Luc de ses propres mains » [Les toutes premières histoires..., 1983 : 66]. Les versions suivantes parlent du travail fait de la main du peintre, en précisant toutefois qu'il a exécuté le tableau « d'après les indications de l'Esprit-Saint » [ibid. : 107], ou « fortifié par la Grâce et dirigé par l'Esprit-Saint » [ibid. : 136]. Au fil du temps, la légende sur l'origine de la Vierge de Czestochowa, qui s'est développée surtout au xviie et au xviiie siècle, a considérablement renforcé son caractère acheiropoiète en introduisant des personnages d'anges censés avoir achevé le tableau (par exemple, les visages de la Vierge et de l'Enfant), dont l'exécution avait été interrompue parce que le peintre, fatigué ou pris d'incapacité créatrice, s'était assoupi sur son chevalet.

Image de la Vierge de Czestochowa, sans draperie ni couronne (Archives du monastère paulinien, Jasna Góra)

Image de la Vierge de Czestochowa, sans draperie ni couronne (Archives du monastère paulinien, Jasna Góra)

5La tradition populaire sur l'origine du tableau, telle qu'elle apparaît dans les collectes folkloriques et ethnographiques du xixe siècle, souligne aussi très fortement la genèse non humaine, divine, de l'effigie. Dans une version de la légende transmise par la tradition orale et consignée au xixe siècle par Oskar Kolberg, le père fondateur de l'ethnographie polonaise, le thème de l'acheiropoietos est ouvertement présent.

6« [L'Évangéliste] tomba dans une telle extase en peignant Son visage [celui de la Vierge] qu'il fut contraint d'interrompre son travail, et c'est seulement après s'être réveillé de son ravissement, qu'il s'aperçut que l'œuvre avait été terminée non pas de ses mains, mais de la main d'anges » [Kolberg, 1964b : 230].

7De nombreuses chansons populaires conservées dans les sources ethnographiques du xixe siècle rapportent une version approchante de la naissance du tableau. Saint Luc y apparaît comme un peintre qui travaille des années durant sur le portrait, finalement terminé par la Vierge en personne :

8

« Il n'arrivait pas à achever sa peinture et finit par s'endormir dessus.La Très-Sainte l'acheva,Elle l'avait promis pour Czestochowa »[Kolberg, 1964 a : 169].

9Ce thème de l'acheiropoietos, qui revient dans les chansons populaires du xixe siècle évoquant la création de la Vierge de Jasna Góra, illustre bien le poids que la foi populaire accordait à l'origine divine des effigies considérées comme dotées d'un pouvoir particulier. La légende se rapportant à l'image sainte définissait son statut miraculeux et l'importance de son culte. D'ailleurs, dans la légende de Jasna Góra, l'origine miraculeuse du tableau n'est pas liée uniquement au personnage de Luc l'évangéliste et au statut du tableau « non peint de main d'homme ». D'autres légendes sont apparues, reposant sur le caractère miraculeux et les significations particulières de la planche qui a servi de support à sa réalisation.

10Selon les premières légendes consignées et les différentes versions qui circulent encore aujourd'hui, le support du tableau de la Vierge de Cz?stochowa est une table, qui vient tantôt de la maison de la Sainte Famille à Nazareth, tantôt de la maison où Marie aurait vécu après la mort et la résurrection de Jésus (il existe même une version selon laquelle il s'agirait de la table de Nazareth que la Vierge aurait emportée chez Zébédée où elle allait passer la fin de ses jours). Dans les passages décrivant l'importance particulière de la planche, on est frappé par l'insistance sur le contact physique direct des saints personnages avec le tableau qui tire son pouvoir miraculeux de ce contact. La tradition orale consignée au xvie siècle rapporte que la Vierge et Jésus, assis à cette table, « l'ont bénite en la touchant de leurs très saintes mains » [Les toutes premières histoires..., op. cit. : 210]. Dans une autre version, la Vierge, pensive, « les doigts croisés, en pleurs, penchait sa très sainte tête sur cette planche, l'arrosant de ses larmes abondantes » [ibid. : 136]. Les larmes de Marie pénétrant la table - le futur support de l'effigie - représentent dans la culture populaire un lien très fort entre l'objet et le saint personnage, fondé sur la conviction que les sécrétions du corps humain « unissent les choses qui ont été désunies » [Kowalski, 1998 : 547]. Les larmes, de surcroît, s'inscrivent dans la représentation de la Vierge des douleurs, la Mater Dolorosa, très implantée hier comme aujourd'hui dans le culte marial polonais lié à la Vierge de Cz?stochowa. Comme dans le cas de l'acheiropoietos, l'histoire du support, de la table de Marie, a atteint son apogée, dans la tradition orale, à la fin du xviie siècle et au xviiie siècle. Cette version a été consignée au xixe siècle par les premiers ethnographes polonais. Les versions suivantes de la légende ont multiplié les particularités miraculeuses du support de l'effigie et les circonstances miraculeuses liées à la naissance de la peinture. Voilà pourquoi, comme le dit l'inscription Mensa Mariana potissima domus Nazaraeae supellex apposée en 1705 sur le revers du tableau, l'effigie, dans la perception religieuse, n'est pas seulement la table de Marie, mais aussi un objet sacré, une relique emplie d'un pouvoir particulier et de la présence du personnage.

11Les différents thèmes qui apparaissent dans les légendes de Jasna Góra sont une parfaite introduction à une réflexion sur le culte des effigies dans la foi religieuse populaire des Polonais. L'importance attachée au contact direct entre la personne et le tableau, la conviction que ce lien originel décide du statut ontologique du tableau en tant que relique particulière, relève d'une réflexion anthropologique. Dans un des textes majeurs sur la foi populaire polonaise, qui date des années 1930, le sociologue et historien d'art Stefan Czarnowski note la place du culte des images dans la culture religieuse du peuple polonais [Czarnowski, 1938 : 151], liée, selon lui, à une expérience religieuse sensorielle particulière. Il remarque en même temps que les effigies des saints personnages « sont pour notre peuple plus que des effigies. Ce sont des symboles au sens le plus littéral du terme, c'est-à-dire des objets qui participent de la nature du personnage représenté et résument ce personnage » [ibid. : 171]. Cette observation inspire toujours la réflexion sur la foi religieuse chez les Polonais d'aujourd'hui. Dans un article paru en 2000, Joanna Tokarska-Bakir analyse en détail l'expérience religieuse et l'émotion provoquée par une image considérée comme sainte. Évoquant Hans-Georg Gadamer selon lequel « l'indistinction reste un trait inhérent à toute expérience de l'image » [Gadamer, 1993 : 152], elle développe l'idée de Czarnowski en introduisant le concept d'« indistinction sensorielle » : celle-ci, en réalisant « la fusion de l'image et du signifié, du nom et de la personne, du texte et de sa signification, non seulement n'est pas un phénomène secondaire par rapport à l'expérience religieuse, mais elle en constitue le fondement et la rend possible » [Tokarska-Bakir, 2000 : 230]. L'expérience religieuse de l'image sainte gomme les limites entre l'effigie et le personnage. Une telle conceptualisation permet d'étudier le culte de la Vierge de Jasna Góra et invite à percevoir l'image comme une personne. Pour la majorité de mes interlocuteurs, le tableau est une relique dotée du pouvoir de la personne représentée et, dans l'expérience religieuse, il devient une « personne présente » réelle dans le tableau et à travers le tableau. En témoignent les propos tenus sur le tableau, où la limite entre l'effigie et le personnage disparaît et où l'expérience du tableau est pour beaucoup de mes interlocuteurs une rencontre avec la Vierge elle-même, qui apparaît comme un personnage vivant et réel : « Quand je vois le tableau de Cz?stochowa, je vois quelque chose de plus que le tableau - je vois la Vierge » [f., 1958]. Beaucoup d'autres déclarations évoquent la même expérience sensorielle intense « d'une rencontre avec une personne », qui s'accomplit à travers le tableau. Par exemple celle-ci : « la Vierge de Cz?stochowa vous regarde comme si elle allait vous parler » [f., 1932]. Ces déclarations attestent la dimension particulière du contact des croyants avec l'« effigie personnage » de la Vierge de Cz?stochowa. Le transfert de l'effigie au personnage, effectué sur le plan religieux, est une chose naturelle qui échappe à la réflexion et qui constitue effectivement, comme le dit Joanna Tokarska-Bakir, la base de l'expérience de la prière associée au tableau. Selon la croyance courante, il relève de l'évidence qu'une prière dite devant l'effigie est une prière adressée à la Vierge. Au moment du contact avec une personne croyante, le personnage de la Vierge représenté sur le tableau prend vie : la Vierge regarde, elle veut parler, elle fait un signe, elle cligne des yeux, sourit, pleure et saigne, même... La dimension personnelle du tableau prédomine.

« Petite procession » au village de Liszki (environs de Kraków) en 1985 : une femme, un cierge à la main, emporte l'effigie de la Vierge à son domicile pour une journée (Musée d'ethnographie de Cracovie, autorisation de reproduction de Jacek Kubiena)

« Petite procession » au village de Liszki (environs de Kraków) en 1985 : une femme, un cierge à la main, emporte l'effigie de la Vierge à son domicile pour une journée (Musée d'ethnographie de Cracovie, autorisation de reproduction de Jacek Kubiena)

12La manière, à la fois profonde et sensorielle (elle s'accomplit à travers une expérience très sensorielle), de ressentir les images que l'on retrouve dans la pratique religieuse de la Pologne d'hier et d'aujourd'hui est certainement liée aux conditions historiques et culturelles - en particulier à l'influence de la théologie orthodoxe de l'icône. Alors qu'à l'ouest et dans le Sud de l'Europe c'est le culte des représentations en trois dimensions, le culte des statues, qui domine dans la culture catholique, en Pologne ce sont les représentations iconiques, comme en témoignent la plupart des sanctuaires mariaux. Les publications contemporaines consacrées à Jasna Góra, qu'elles soient pieuses ou scientifiques, soulignent la force du culte de l'image. Le monastère est présenté comme « le plus grand centre marial du monde dont l'origine et l'essor ne sont pas liés à des apparitions de la Vierge » [Jackowski, 1996 : 9], mais uniquement au culte d'une image. Au cours des dernières décennies sont apparues une référence directe à la théologie orthodoxe de l'icône et l'utilisation de plus en plus fréquente du mot « icône » pour parler du tableau de Jasna Góra (dont la strate la plus ancienne est, en effet, plus ou moins liée à la culture byzantine), ainsi que l'expression « théologie de l'icône de Jasna Góra ». En revanche, comme le montrent les recherches ethnographiques sur la langue et l'expérience religieuses, l'effigie est perçue à travers la catégorie de l'indistinction sensorielle. Selon mes interlocuteurs, à Jasna Góra il n'y a pas qu'un tableau miraculeux, il y « vit » une personne, Marie, « la mère et la reine de Pologne depuis six siècles » [« Jasna Góra », 1983 : 3].

La mère

13Selon l'explication avancée par un théologien orthodoxe, « la Vierge du type Hodigitria, celle qui montre le chemin, représente le dogme christologique et présente son Fils, celui qui est le chemin. Elle tient l'Enfant bénissant sur son bras gauche, et du droit montre le Sauveur » [Evdokimov, 1999 : 218]. La croyance religieuse usuelle interprète l'effigie de Jasna Góra - qui, du point de vue de la tradition picturale, conserve la composition de l'icône de l'Hodigitria - sans parler de son contenu théologique (christologique) originel. Dans la perception courante, le tableau de Cz?stochowa est surtout une représentation de la Vierge, de Marie, qui n'est pas seulement la mère de Jésus, mais aussi la mère des hommes, et donc la mère de l'individu qui prie devant le tableau. Au cours des entretiens d'enquête sur le tableau de Cz?stochowa, mes informateurs, parmi les éléments marquants de l'effigie, citaient en premier le visage de Marie et les détails qui y sont liés : ses yeux, les balafres sur sa joue droite, son teint foncé, ou encore la tristesse de son expression. En général, la composition originelle du tableau, qui recèle le fondement religieux et théologique, ne retient pas l'attention. L'une de mes interlocutrices m'a même dit que dans le tableau, « ce qui attire le plus le regard, c'est le visage de la Vierge, ce n'est pas Jésus ni les autres détails » [f., 1955]. Témoigne également de cette perception de la Vierge de Czestochowa l'immense popularité de la copie du tableau qui ne représente qu'un fragment de l'original : le visage de Marie sans les couronnes ni les draperies qui ornent le tableau de Jasna Góra. La représentation visuelle populaire de la seule tête de la Vierge - critiquée par de nombreux théologiens qui y voient une « mutilation » de l'image sainte [Budzik, 1995 : 163] - montre l'émotion communément provoquée par le tableau qui, pour les fidèles, est d'abord un tableau marial : il représente moins l'idée de l'Hodigitria (comme le voudraient les théologiens) que le personnage de Marie, la mère et la confidente, la protectrice des hommes. Beaucoup de mes interlocuteurs, souvent émus et émouvants, m'ont parlé de la relation intime, personnelle, qui les unit à l'« effigie et personnage » de la Vierge de Czestochowa. Le personnage de la Vierge paraît beaucoup plus proche, plus humain que celui de Jésus. De tels propos reviennent souvent : « C'est plus souvent elle [la Vierge] qu'on préfère prier que Jésus » [f., 1958]. La dimension maternelle du personnage de la Vierge est parfois mentionnée sans détour : « La Vierge de Czestochowa est pour moi comme une mère » [f., 1977], parfois dans une confession intime : « La Vierge est ma sainte mère. Elle m'invite chez son fils. Je n'ai pas connu ma mère, elle est morte quand j'avais quatre ans. C'est ma petite maman à moi » [f., 1924], ou : « J'ai la Vierge dans ma chambre et tous les soirs, je dis une prière devant. Je m'adresse alors à la Sainte Vierge avec la confiance d'un enfant » [h., 1949]. Les matériaux contemporains qui recueillent les formes du culte lié à l'icône de Jasna Góra confirment la réalité de son image de mère. Les ex-voto déposés à Jasna Góra par les pèlerins commencent très souvent par des formules tendres et personnelles directement adressées au personnage de Marie : « Je viens te voir, Petite Mère... » ; « Petite Maman chérie de Czestochowa ! » ; « Mère bien-aimée... » ; « Mille mercis à Toi, ma mère... » ; « Maman, merci de m'avoir permis de revoir Tes yeux » ; « Mère de Jasna Góra, la plus chérie de toutes les mères ! » ; « Ma mère la plus douce ! » ; « Ô Mère ! » Ce simple échantillon illustre bien la dimension affective et personnelle de la dévotion à la Vierge [5][5]Ces citations ne sont qu'un modeste exemple des ex-voto déposés....

14Sur le plan du langage, déjà, le personnage de la mère domine dans la représentation de Marie. En polonais, à la différence du Our Lady anglais ou du Notre-Dame français, l'appellation la plus répandue de Marie est Matka Boska, mère divine, ou encore Matka Boska, mère de Dieu, qui renvoie au grec Theotokos, Génitrice de Dieu, mais prend aussi en polonais courant une dimension sémantique proche de Divine Mother (« mère divine » évoquant la divinité du personnage même de la mère au moyen de l'épithète).

15L'aspect maternel du personnage de Marie, très répandu, trouve son origine au-delà de la sphère strictement dogmatique, il renvoie probablement à des couches profondes de la culture, sur lesquelles se sont souvent penchés les spécialistes de la dévotion mariale populaire. On notera que le concept même de « mère » est étroitement lié au caractère biologique, naturel, de la vie humaine et qu'il fait partie des représentations fondamentales du monde. Les liens affectifs particuliers, la tendresse et le caractère émotionnel de la relation, le sentiment que la Vierge protège et secourt sans limites expriment le sens de la relation enfant-mère. La mère - personnage archétype de la femme -, dans les traditions populaires slaves, était souvent une représentation liée à la nature et à la terre fertile. Beaucoup de chercheurs, voyant dans le culte marial populaire un prolongement spécifique du culte archaïque de la terre en tant que déesse Mère [Bartminski, 1999 : 18], montrent que le personnage de la Vierge relève de croyances pré-chrétiennes [K?oczowski, 1982 : 5]. Aujourd'hui les preuves convaincantes du fondement de cette hypothèse manquent. Ce ne sont que des supputations, mais d'après des matériaux ethnographiques, dans la culture paysanne traditionnelle polonaise, le personnage de la Vierge était étroitement lié au monde de la nature [Grebczewski, 1984 : 158-160]. Dans les entretiens concernant l'effigie de la Vierge transparaissent clairement les références culturelles rattachant la nature au personnage de Marie. L'une de mes interlocutrices, évoquant le teint sombre de Marie sur le tableau de Jasna Góra, a donné une explication très significative : « Foncé comme la terre - c'est simple à comprendre -, comme la terre donne des fruits et des enfants, la Vierge est comme notre terre : c'est la mère de Dieu et notre mère la Terre » [f., 1969].
Un autre élément renforce l'émotion religieuse associée au personnage de la Vierge de Czestochowa : le lien qui existe entre la représentation archétype de la mère et la représentation populaire de la mère des douleurs, la Mater Dolorosa, très fortement ancrée dans le christianisme. Dans les propos évoquant le tableau de Czestochowa revient l'idée que l'extraordinaire complicité qui peut naître entre le croyant et le personnage de la Vierge est liée à la douleur toujours vive de la Vierge. Son teint sombre, son visage pensif, les cicatrices visibles sur la joue de la Vierge de Cz?stochowa [6][6]L'origine des balafres sur le visage de la Vierge de... sont interprétés par ceux qui la vénèrent comme les marques visibles d'une grande souffrance. « La Vierge est triste, c'est pour ça que son portrait est sombre » [h., 1927]. La plupart des personnes interrogées, pour décrire le visage et les yeux de la Vierge de Cz?stochowa, parlaient de sa tristesse comme d'un de ses traits les plus touchants : « Ce qui retient le plus l'attention, sur le tableau, c'est l'air triste de la Vierge, il remue la conscience », a confessé une vieille femme [f., 1927], tandis que sa voisine évoquait son pèlerinage à Jasna Góra avec ces mots : « Quand je suis à genoux devant le tableau de Jasna Góra, je garde les yeux fixés sur ceux de Marie. Ils paraissent tristes, alors je suis émue » [f., 1949].

La reine

16À propos du personnage de la Vierge des Douleurs se dégagent deux caractéristiques propres au culte de la Vierge de Jasna Góra dans la foi polonaise contemporaine. D'un côté, la souffrance de la Mater Dolorosa, profondément humaine, celle d'une « femme-mère » plongée dans la douleur après la mort de son fils, permet à Marie de comprendre les soucis des simples croyants, de partager leurs émotions et leurs chagrins. De l'autre côté, la souffrance de Marie, si bien perçue par mes interlocuteurs sur le tableau de la Vierge de Cz?stochowa, donne lieu à un ensemble de significations en rapport avec la mythologie nationale polonaise et les représentations collectives de l'Histoire. Dans le cadre de ce débat mythifié, le personnage de la Vierge de Czestochowa apparaît d'abord comme la reine de Pologne, la protectrice et la patronne de la nation, qui souffre avec le peuple persécuté et constitue un symbole du pouvoir céleste opposé au pouvoir laïque contesté. L'une de mes interlocutrices rapporte une opinion très répandue : « Quand des étrangers attaquaient la Pologne, les Polonais avaient toujours recours à la Vierge de Cz?stochowa en tant que reine » [f., 1925].

17Selon Mi?owit Kuni?ski, la vision prédominante de l'histoire chez les Polonais d'aujourd'hui se forme à travers une « philosophie naturelle de l'histoire », autrement dit une vision de l'Histoire « non théorique, non intellectuelle, affective, où se mêlent une expression circulaire et une expression linéaire du présent et du passé, associant des aspects qui s'imbriquent les uns dans les autres, existentiels et historiques, laïques et sacrés », et la règle fondamentale qui ordonne la réalité, c'est : « Tout se répète, tout a déjà existé » [Kuni?ski, 1993 : 11]. Les significations contemporaines de la Vierge de Czestochowa reflètent bien la structure de la philosophie naturelle de l'histoire, où le présent est interprété en se référant à des événements du passé (la vision circulaire de l'histoire), mais où, par ailleurs, la même situation présente est placée dans le temps historique linéaire du « plan divin » et de l'ordre sacré. Le sanctuaire de Czestochowa, « la capitale spirituelle de la Pologne », est pour les pèlerins et les touristes « le symbole du patriotisme » [Bukowska-Flore?ska, 1999 : 17]. Ces appellations populaires montrent comment se recouvrent les significations religieuses et nationales liées à l'« effigie personnage » de la Vierge de Czestochowa.

18Ces liens si forts entre représentations nationales et représentations religieuses remontent au moins à l'époque du baroque et à la domination croissante de la Contre-Réforme catholique dans la République de Pologne, qui a animé et promu beaucoup de lieux saints liés au culte d'effigies de la Vierge. C'est à cette époque, en effet, que Jasna Góra - sanctuaire abritant une effigie considérée comme le palladium [7][7]Dans la mythologie grecque, le palladium était une statue... des rois de Pologne - a acquis le statut de sanctuaire modèle et symbolique du peuple noble, des chevaliers défendant la chrétienté contre les « étrangers » qui la menaçaient [Tazbir, 1987 : 55]. Le mythe de la « défense miraculeuse de Jasna Góra » s'est créé en quelques décennies, à la suite des guerres avec la Suède qui s'étaient déroulées entre 1655 et 1660 ; la primauté de Jasna Góra fut symboliquement reconnue par le couronnement, en 1717, de la Vierge de Czestochowa avec une couronne du pape. Au xixe siècle, à l'époque des partages et de la disparition de l'État polonais, la représentation de la Vierge de Czestochowa en reine de Pologne s'est développée pour contrer le pouvoir des occupants que le peuple ne reconnaissait pas [Jab?o?ska-Deptu?a, 1985 : 75]. Elle était présentée comme une reine qui exerce sa souveraineté sur les différentes couches de la société et qui communie avec elles dans la souffrance.

19Les nombreuses références baroques et romantiques, et surtout le partage ordonnant la réalité entre un pouvoir laïque non reconnu et la représentation du peuple rassemblé autour de la reine de Pologne, sa patronne symbolique, ont réapparu dans la structure de la « philosophie naturelle de l'histoire », qui exerça une influence considérable sur la société polonaise à l'époque communiste (1945-1989). À cette époque, paradoxalement, les significations nationales de Jasna Góra, comme le catholicisme populaire de masse dont la vitalité marque encore de nos jours la foi des Polonais, se sont développées.

Procession de la Vierge de Czestochowa dans la paroisse de Klimontów (clichés de l'auteur, 2008)

Procession de la Vierge de Czestochowa dans la paroisse de Klimontów (clichés de l'auteur, 2008)

20À la fin de l'époque stalinienne, la hiérarchie officielle de l'Église, cherchant le moyen de perdurer et de renforcer sa présence dans la société, prit sciemment la décision d'utiliser la foi religieuse populaire liée à l'effigie de la Vierge de Cz?stochowa. Elle savait le tableau et la représentation de la reine de Pologne profondément ancrés dans la mythologie nationale. Stefan Wyszy?ski, primat de Pologne de 1948 à 1981, joua un rôle clé dans cette politique de l'Église. Sur son initiative fut créé un plan pluriannuel qui prévoyait de grandes cérémonies religieuses de masse autour du tableau conservé à Jasna Góra. L'année 1956 vit le premier succès spectaculaire de l'Église dans la Pologne d'après-guerre qui se tourna résolument vers une dévotion mariale massive. Monseigneur Wyszy?ski, alors emprisonné [8][8]Le primat de Pologne Stefan Wyszy?ski a connu la relégation du..., décida d'organiser des cérémonies à Jasna Góra pour réélire la Vierge de Cz?stochowa reine de Pologne. Les vœux du peuple prononcés à Jasna Góra se référaient à la couche baroque de la mythologie nationale et aux événements liés à la période des guerres polono-suédoises, où la victoire sur les troupes ennemies avait été attribuée à l'intercession de la Vierge de Czestochowa qui aurait protégé Jasna Góra en 1655. La venue, en août 1956, d'un million de pèlerins sous les remparts du sanctuaire fut pour l'Église un succès indéniable. Elle prit alors conscience de la force du symbole religieux et national que représentait la Vierge noire, capable d'attirer les foules et d'unir les gens même dans un État peu favorable à la religion car dominé par la propagande officielle et par la terreur. Le projet d'une nouvelle grande manifestation du catholicisme de masse fut lancé en 1966, année proclamée par l'épiscopat de Pologne « année du millénaire », pour commémorer le millième anniversaire du baptême du prince slave Mieszko. Les grandes cérémonies du « millénaire du baptême de la Pologne » furent organisées non pas à Varsovie, la capitale, ni à Gniezno, que l'on pouvait rattacher historiquement à la naissance de l'État polonais et qui avait probablement été le lieu de baptême du prince Mieszko, mais à Jasna Góra, la « capitale spirituelle de la Pologne », où était conservé le tableau de la Vierge de Czestochowa, la « véritable » reine de Pologne. Les célébrations religieuses du millénaire à Jasna Góra dominèrent par leur ampleur les célébrations nationales officielles du « millénaire de l'État polonais » organisées parallèlement par les autorités communistes. Elles montrèrent que la vision religieuse et symbolique de l'Histoire, associée à l'intense dévotion à la Vierge et à ce sanctuaire très populaire, était un puissant instrument pour bâtir au sein de la société des relations qui échappaient au contrôle de l'État communiste.

« Reine et Mère », affiche underground des années 1980 (Centrum Dokumentacji Czynu Niepodleg?o?ciowego, Cracovie)

« Reine et Mère », affiche underground des années 1980 (Centrum Dokumentacji Czynu Niepodleg?o?ciowego, Cracovie)

La pérégrination

21Le succès des célébrations du millénaire n'était pas fortuit. Les dix années qui séparaient les vœux de Jasna Góra du millénaire du baptême de la Pologne avaient vu la réintroduction du culte de la Vierge de Czestochowa. Au lendemain de sa libération, monseigneur Wyszyeski avait inauguré un nouveau rituel marial dont l'effigie de Jasna Góra était le pivot. En août 1957, avait débuté la « pérégrination de la copie du tableau de la Vierge de Czestochowa ». Une copie grandeur nature du tableau original, exécutée spécialement, bénie par le pape Pie XII au Vatican, plaquée ensuite quelques secondes sur le portrait original, fut envoyée en « voyage à travers toute la Pologne », pour parcourir le pays, au cours des décennies suivantes, en passant vingt-quatre heures dans chaque église paroissiale. Pendant la « visite de la Sainte Vierge dans la paroisse », comme on appelait désormais la pérégrination, étaient organisés des offices spéciaux, des veillées, des cérémonies d'accueil et d'adieu au tableau à la limite de la paroisse [9][9]La pérégrination paroissiale a duré de 1957 à 1980. En 1985,.... Bientôt, pour renforcer la dévotion personnelle, affective, à la Vierge, l'épiscopat de Pologne inaugura ce qu'on appelle la « petite pérégrination ». Plusieurs dizaines de reproductions, de taille réduite, de la Vierge de Cz?stochowa furent bénies à Jasna Góra et envoyées dans les différents diocèses. Ces petits tableaux allaient de maison en maison, de famille en famille. Les deux pérégrinations montrèrent que le tableau de la Vierge de Cz?stochowa était un symbole puissant qui, d'une part, évoquait une vision mythique de l'histoire nationale et, d'autre part, générait des émotions religieuses intenses. L'influence de la pérégrination tenait directement au fait que sa forme rituelle lancée par l'Église renouait avec les formes populaires traditionnelles du culte des effigies, fortement ancrées dans la culture religieuse polonaise. L'indistinction sensorielle évoquée plus haut est une manière caractéristique de « ressentir les images » dans la foi religieuse populaire, elle joua un rôle fondamental dans la réception de la pérégrination des copies de la Vierge noire. La part liturgique, officielle, du rituel soulignait la dimension personnelle du tableau en présentant la pérégrination non seulement comme une procession avec lui, mais aussi comme un « voyage de la Vierge à travers la Pologne », une « visitation » (pour se référer à la scène, dans l'Évangile, de la visitation de la Vierge à sainte Élisabeth) et un « pèlerinage » qui permet à Marie de « venir » dans les paroisses et de « traverser les diocèses ». Dans les souvenirs de la pérégrination recueillis au cours de l'enquête, l'approche personnelle de l'effigie se révélait très forte. Une vieille femme qui évoquait la pérégrination du tableau dans sa paroisse a confessé : « Je suis contente d'avoir vécu pareil moment. Je me sens privilégiée d'avoir revu Notre-Dame de Jasna Góra une dernière fois avant de mourir » [f., 1926]. « C'est une grosse émotion, m'a dit un autre interlocuteur. C'est comme s'il venait un invité de marque. Pour cette occasion, on décore les fenêtres dans les maisons » [h., 1927]. « C'était comme si venait la mère », confessait une autre [f., 1944]. Les souvenirs de la petite pérégrination sont encore plus personnels. Un de mes informateurs m'a confié que, pendant que le tableau était chez lui, « on pouvait parler seul à seul avec l'effigie, lui présenter ses problèmes. C'était une rencontre personnelle avec la Vierge » [h., 1935]. « Quand le tableau était chez moi, m'a dit un autre, c'était comme la visite insolite d'un hôte de marque auquel on peut raconter ses chagrins, exposer ses problèmes » [h., 1949]. Beaucoup de gens ont fait état de prières dites en commun avec la famille et les voisins, ainsi que de veillées nocturnes solitaires. « C'est encore mieux que d'aller à Czestochowa, m'a dit une informatrice, parce que c'est la Vierge qui visite notre région, notre maison, notre paroisse » [f., 1928].

22Mais le moment le plus chargé d'émotion dans la pérégrination de la Vierge de Cz?stochowa, et qui révèle en même temps le pouvoir surprenant de la foi populaire, fut celui de la pérégrination paroissiale, en particulier à cause des tentatives d'interruption de la part du pouvoir communiste. Après le succès spectaculaire des célébrations religieuses du millénaire du baptême de la Pologne, le pouvoir décida de mettre fin à la pérégrination. Il tenta à trois reprises d'arrêter l'itinérance du tableau pour finalement, en septembre 1966, après l'arrestation de la voiture chapelle [10][10]Il s'agit d'une voiture spéciale aménagée en chapelle,... par la milice, le rapporter à Jasna Góra, où fut mise en place une patrouille spéciale chargée de garder l'entrée du monastère. La Vierge noire resta à Jasna Góra jusqu'en juin 1972, moment où elle fut secrètement « dérobée » pour reprendre son itinéraire. Pendant la période de près de cinq ans où l'effigie avait été, comme se souviennent mes informateurs, « arrêtée », la pérégrination n'avait pas été interrompue, elle se poursuivait conformément au programme établi. Dans les différentes églises et paroisses, le rituel conservait tout son cérémonial, à cette différence près que les fidèles rassemblés en procession apportaient dans l'église un cadre de bois vide qu'ils posaient sur l'autel ; ils priaient et célébraient les cérémonies devant, comme on le faisait devant le tableau de la Vierge de Cz?stochowa. Les souvenirs de la « pérégrination de la Vierge sans la Vierge » sont encore très présents dans la mémoire collective de la société polonaise. Lors de mon enquête, j'ai eu la surprise d'entendre non seulement des personnes âgées mais aussi des jeunes raconter ces événements à partir du récit que leur en avaient fait leurs parents et leurs grands-parents. Le cadre vide devant lequel les gens s'agenouillaient, qu'ils portaient en procession, auquel ils accrochaient des ex-voto et des fleurs, auquel ils adressaient leurs prières, est un symbole extraordinaire dans lequel se rejoignent la foi religieuse populaire et la mythologie nationale. Le tableau religieux, mêlé au débat et au conflit politiques, a révélé la force de la croyance religieuse populaire et l'aspect paradoxal de l'indistinction sensorielle qui, d'un côté, faisait que les gens percevaient l'arrestation du tableau comme l'« arrestation » de la Vierge elle-même (« Il n'y avait que le cadre parce que la Vierge avait été arrêtée » [f., 1958]) et, de l'autre, construisait une expérience religieuse et une émotion causée par la Vierge « visible » dans le symbole du cadre vide. L'un de mes interlocuteurs m'a rapporté : « Je revois la procession et le cadre vide. Tout le monde avait l'impression que le tableau était bien là, qu'il n'avait pas été retiré de son cadre. Chacun de nous la voyait ! » [h., 1937]. La déclaration suivante reflète également le caractère inhabituel de la situation et l'intensité de l'émotion religieuse : « Quand j'étais enfant, la Vierge de Czestochowa a été bloquée. Mais elle a poursuivi son voyage avec rien que le cadre. Les communistes ont beaucoup perdu avec cette arrestation parce que le cadre vide causait une émotion encore plus grande, le cadre vide était un message encore plus éloquent » [h., 1957].

Cracovie : départ d'un pèlerinage de quelques jours jusqu'au monastère de Jasna Góra, en août 2006 (cliché de l'auteur)

Cracovie : départ d'un pèlerinage de quelques jours jusqu'au monastère de Jasna Góra, en août 2006 (cliché de l'auteur)

23Le rituel de la pérégrination a réuni la mythologie nationale et la dévotion à la Vierge dans le culte de la Vierge noire de Czestochowa. L'intensité de l'émotion religieuse, fondée sur l'indistinction sensorielle, et le caractère de masse des cérémonies religieuses caractérisent le catholicisme populaire polonais. Ces traits se sont renforcés à l'époque communiste, pour atteindre leur apogée dans les années 1980, où l'effigie de la Vierge noire de Czestochowa est devenue l'un des symboles les plus populaires rattachés au mouvement Solidarité et à l'opposition au régime communiste. Dans la Pologne d'aujourd'hui, le tableau de Jasna Góra, symbole très puissant, constitue un élément de l'univers mythique de la société, à travers lequel on peut comprendre différentes références et différents contextes culturels. L'évidence de la présence de l'« effigie personnage » de la Vierge de Czestochowa confirme la dimension mythique des significations religieuses et de leur vitalité. ?

Notes

  • [1] Cet article est fondé sur des extraits de mon livre Obraz i posta?. Znaczenia wizerunku Matki Boskiej Czestochowskiej [L'effigie et le personnage. Les significations du portrait de la Vierge de Czestochowa], 2005, Cracovie, Wydawnictwo Uniwersytetu Jagiello?skiego.
    Les matériaux des enquêtes de terrain se trouvent dans les archives de l'Institut d'ethnologie et d'anthropologie culturelle de l'Université Jagellone. Après les citations sont indiqués le sexe et l'année de naissance de l'informateur.
  • [2] En polonais, les deux appellations de Vierge de Czestochowa et de Vierge de Jasna Góra circulent parallèlement. La première fait référence à la ville de Czestochowa, où se trouve le monastère. La seconde se rapporte au nom du monastère, le monastère de Jasna Góra.
  • [3] L'expression Czarna Madonna, la « Vierge noire », est apparue dans le polonais moderne pour désigner la Vierge de Czestochowa. Elle a des connotations religieuses assez fortes et est généralement utilisée dans les textes à caractère pieux. Un chant religieux populaire intitulé Czarna Madonna a contribué au succès de cette expression dans les années 1960, mais la plupart des historiens d'art expriment leurs critiques sur la popularisation de ce nom qu'ils estiment infondé du point de vue formel [Kurpik, 1991].
  • [4] Marie et l'enfant ne sont plus tournés l'un vers l'autre dans une attitude de mutuelle tendresse, mais ils sont tournés vers le monde, vers nous. Marie présente son enfant à toute l'humanité en le montrant de la main. Son rôle de médiation est mis en évidence ; c'est pour ce motif qu'on la nomme « Hodigitria », conductrice.
  • [5] Ces citations ne sont qu'un modeste exemple des ex-voto déposés par les pèlerins à Jasna Góra. Une partie des ex-voto a été publiée dans un tiré à part du livre des ex-voto de Jasna Góra dans le mensuel Jasna Góra publié par le monastère. J'ai recueilli l'autre partie dans les documents qui se trouvent à la bibliothèque des frères pauliniens, à Jasna Góra.
  • [6] L'origine des balafres sur le visage de la Vierge de Czestochowa fait l'objet d'un débat intéressant parmi les historiens d'art. Je fais dans mon livre une analyse détaillée de ce débat et des significations symboliques des blessures.
  • [7] Dans la mythologie grecque, le palladium était une statue mythique (en référence à la statue protectrice de Pallas). Le terme, employé ensuite au sens figuré, désigne ce qui est garant de la pérennité.
  • [8] Le primat de Pologne Stefan Wyszyeski a connu la relégation du 25 septembre 1953 au 26 octobre 1956.
  • [9] La pérégrination paroissiale a duré de 1957 à 1980. En 1985, l'Église a décidé de commencer une deuxième pérégrination qui dure encore. J'ai réalisé la plupart des enquêtes de terrain concernant le culte de la Vierge de Czestochowa à l'époque de la pérégrination actuelle d'une copie de l'effigie, qui reprend le schéma rituel établi en 1957.
  • [10] Il s'agit d'une voiture spéciale aménagée en chapelle, surmontée par exemple d'une couronne dorée, et dans laquelle le tableau est transporté. Les pèlerins encadrent cette voiture chapelle pendant la procession.
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